Résumé

Les sources grecques affirment de manière relativement fréquente que le fait de condamner un citoyen à mort sans lui faire subir de procès régulier (akritos, “sans jugement”) est un acte paranomos, indiquant un mépris total de la loi (nomos) et typique de la tyrannie et de l’oligarchie extrémiste. Ces hypothèses rendent particulièrement surprenant le cas, que rappelle Aristote dans la Constitution des Athéniens (40, 2), de la mise à mort sans jugement d’un citoyen athénien dans le contexte de la restauration démocratique, sur l’initiative d’Archinos.
Les modernes se sont interrogés sur l’éventuelle illégalité de la procédure, qu’Aristote ne semble pas vraiment remarquer : dans son récit, la mesure semble exceptionnelle mais pas contraire à la loi. L’analyse de la question juridique nous amène à conclure que l’illégalité de l’initiative d’Archinos résiderait moins dans l’implication de la Boulê dans la procédure ou dans l’absence d’un procès régulier que dans le fait d’assimiler le démocratique mnesikakôn à un kakourgos, à un asebês ou comme coupable de katalysis tou demou, et à cataloguer son délit dans la liste des crimes passibles de peine de mort sans procès.

L’histoire du démocratique mnesikakôn est en réalité le seul cas certain de mise à mort akritos d’un citoyen athénien (d’autres propositions furent formulées dans ce sens, mais furent toutes rejetées) et ce n’est pas un hasard s’il vient se placer dans un contexte de fragilité particulière du système démocratique, qui voit la raison d’État prévaloir sur la défense des garanties démocratiques. Que la procédure, quoiqu’exécutable du point de vue juridique, ait été vue par certains comme un abus d’une grande gravité semble émerger de Lysias XXII, 2, chez qui l’on retrouve l’écho d’une polémique contre la Boulê et le risque que “l’on prenne l’habitude” (ἐθίζεσθαι) de recourir à ces formes extrêmes de coercition.

Mots-clés : Violence, État, condamnation à mort, jugement, restauration démocratique, Archinos, Boulê.

Abstract

It is stated in Greek sources, with some frequency, that condemning to death a citizen without subjecting it to a regular process (akritos, "without judgment") is an unconstitutional act, an index of contempt for the law (nomos) and typical of tyranny and extreme oligarchy. These assumptions make it particularly surprising the case, mentioned by Aristotle in the Constitution of the Athenians (40, 2), of an Athenian citizen put to death without trial in the context of the democratic restoration on initiative of Archinos.
Modern scholars have questioned the possible illegality of the procedure, which indeed Aristotle does not seem to notice: in his narrative, the decision appears exceptional, but not unconstitutional. The analysis of the legal question leads to the conclusion that the illegality of Archinus’initiative would not be so much in the involvement of the Boule in the procedure or in the absence of a regular trial, but in the equation of a democratic mnesikakôn with a kakourgos, an asebes or a person guilty of katalysis tou demou and by classifying his offence as punishable with death sentence without a trial.

The story of the democratic mnesikakôn is in fact the only clear case of putting to death akritos an Athenian citizen (other proposals in this regard were made, but they were all rejected) and it is placed not by chance in the context of a particular fragility of the democratic system, with a prevalence of the raison d'État on the defense of democratic guarantees. From Lys. XXII, 2 it seems to emerge that the procedure, although legally usable, has been seen by some as a serious abuse in which we can recognise an echo of a polemic against the Boule and the risk that it could "took the habit" (ἐθίζεσθαι) to resort to these extreme forms of coercion.

Keywords: State Violence, Condemnation to Death, Restoration of Democracy, Archinos, Boule.

Citer cet article

C. BEARZOT, « La violence de l’État. La condamnation à mort sans jugement dans la Grèce ancienne », Archimède. Archéologie et histoireancienne [En ligne] 2, 2015, p. 150-159. Mis en ligne le 24/11/2015.
URL : https://archimede.unistra.fr/revue-archimede/archimede-2-2015/archimede-2-2015-varia-la-violence-de-letat/

DOI : https://doi.org/10.47245/archimede.0002.var.02

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[1] Texte de la communication donnée à Grenoble le 3 avril 2014, dans le cadre de la journée d’études « Violence et politique de l’antiquité à nos jours », organisée par B. Eck et B. Martel-Thoumian. Je souhaite remercier sincèrement les deux rapporteurs pour leurs remarques précieuses qui m’ont aidée à préciser quelques aspects ainsi qu’à améliorer le style français de cet article.