L’ampleur et la précarité des vestiges mis au jour sur nombre de sites étudiés imposent un enregistrement rapide et efficace de ces données. Des stratégies d’acquisition les plus exhaustives possibles sont mises en place au cas par cas. Elles dépendent cependant des contextes géographiques et socio-économiques contemporains dans lesquels nous évoluons (disponibilité et acheminement du matériel, accès à l’électricité…).
Le relevé
La description des formes spatiales en archéologie, qu’elles soient architecturales ou paysagères, ne peut se faire sans un important travail d’information graphique, qui seul permet de les appréhender dans toutes leurs dimensions et de transmettre leurs détails aux différents acteurs de la recherche. Les outils conceptuels utilisés pour l’acquisition comme pour la formalisation de cette information sont issus des domaines de l’ingénierie, de l’architecture et de la cartographie, dont les conventions et les pratiques sont adaptées. Ces représentations, à des échelles données, en plans (au sol ou de masse), en coupes et en élévations pour les projections orthogonales, ou axonométriques et isométriques pour les projections en perspectives, ne concernent dans un premier temps que l’existant. Le travail de restitution et de rendu n’interviendra qu’en aval de cet enregistrement des faits qui se doit d’être le plus précis et le plus neutre possible : au-delà d’un simple dessin d’observation, il s’agit d’une représentation technique dont les exigences, en termes de précisions, sont proches de celles d’un dessin d’exécution.
Les techniques utilisées pour les prises de mesures et pour le dessin lui-même sont variées : elles dépendent des époques, des lieux, des circonstances et des moyens disponibles. Elles dépendent également des goûts et des choix de ceux qui les réalisent. Si de multiples technologies numériques sont désormais mises en œuvre dès l’acquisition des données sur le terrain, elles côtoient des techniques traditionnelles où l’utilisation de la triangulation, du mètre, du niveau à bulle et du fil à plomb pour les prises de mesures, et du calque et de la mine de plomb pour le dessin lui-même, restent nécessaires. L’examen in situ des objets étudiés et des allers retours entre les objets et leurs représentations, s'ils sont possibles, sont par ailleurs des gages d’exactitude de l’information recueillie.
La topographie
L’UMR 7044 s’est dotée d'une gamme d'instruments de topométrie (tachéomètres des constructeurs Trimble et Leica) qui interviennent en totalité ou en compléments d’autres outils, traditionnels ou numériques, pour l’élaboration de relevés archéologiques de précision. Communément utilisés dans les domaines des BTP et de l'industrie, ces instruments permettent l’acquisition rapide de données planimétriques sur des aires relativement étendues, mais leur usage ne se limite pas au seul enregistrement des formes du terrain (naturelles ou artificielles) : les mesures pouvant être effectuées au laser sans réflecteur, et permettre la saisie de points inaccessibles, notamment sur des surfaces verticales, ils se révèlent également indispensables pour les relevés architecturaux de détail et la mise en concordance de toutes les échelles d'analyse et les dimensions (plans, coupes, façades, modèles numériques des terrains et des bâtiments). Via le format DXF, qui est le format de standard industriel des logiciels de CAO généralistes, les données enregistrées sur le terrain peuvent être ensuite exploitées sur différents logiciels (Autocad, Photomodeler, Photoscan) pour leur métré et leur analyse.
Les liens tissés par l’UMR 7044 avec d’autres partenaires et d'autres disciplines permettent, par un jeu d’emboîtement d’échelles, d’inscrire ces relevés topographiques et architecturaux dans leurs contextes paysagers, territoriaux ou géologiques à l’aide d’instruments de mesures complémentaires. Quelques exemples parmi d'autres :
1- les services topographiques des Instituts Français d’Archéologie Orientale (IFAO, Le Caire) et du Proche-Orient (IFPO, Beyrouth) nous offrent l’opportunité d’utiliser leurs GPS différentiels et d’étendre nos relevés de terrain en Egypte et en Syrie ;
2- l’Institut Archéologique de Belgrade a permis de recourir à la technique du Lidar topographique pour cartographier une superficie importante autour du site de Caričin Grad et repérer le tracé de son aqueduc ;
3- l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg (UMR 7516) nous permet de bénéficier de ses méthodes de prospection géophysiques particulièrement efficaces pour repérer les structures anthropiques enfouies sous les sables de Qasr'Allam ;
4- grâce au pôle cartographie du service de techniques archéologiques de la Maison de l’Orient de Lyon (USR 3439), nous pouvons intégrer certains de nos sites syriens sur des fonds cartographiques régionaux exploitables en 3 dimensions.
La photogrammétrie
La photogrammétrie, qui utilise la photographie non seulement pour observer, mais également pour mesurer les terrains et les objets, est à la fois employée pour les relevés de détail en plan et pour les relevés d’objets architecturaux, parfois conservés en élévation sur plusieurs mètres. Cette technique, autrefois relativement lourde à mettre en œuvre, est devenue accessible grâce au développement de l'imagerie numérique et de l'informatique grand public. Lorsque seuls des objets plans sont concernés et qu'aucun modèle numérique en 3D n'est nécessaire, les techniques de redressement d'images peuvent se révéler être des alternatives également intéressantes (voir à ce sujet les applications Gaia développées par P. Assali dans le cadre de l'INSA de Strasbourg).
A nos échelles de travail, le recours à la photogrammétrie permet l’élaboration de procédures rapides d’accès à une information synthétique et opérationnelle. Un de ses points fondamentaux est d’incorporer l’image et la représentation graphique comme élément dynamique de la gestion de l’information ; cette dernière devant, dans la mesure du possible, demeurer ‘objective’, sans interprétation ou artifice graphique. Son but est de servir simultanément un pragmatisme de sauvegarde documentaire à court terme et des procédures d’analyse à long terme. Les dossiers constitués doivent pouvoir s’adapter à différentes approches, d’ordre typologique ou monographique, en fonction du rythme de l’acquisition, de l’élargissement et de la diversification des points de vue.
L’UMR 7044 dispose ainsi d’une chaîne de numérisation servant d’interface entre l’objet et sa représentation. Les logiciels Photomodeler et PhotoScan permettent la collecte et le traitement de données spatiales issues de clichés paramétrés pris par des appareils photos numériques standards. Les mesures ne s’effectuent plus sur l’objet lui-même mais sur sa représentation photographique à partir de laquelle on peut définir sa forme, sa position et sa taille. La seule condition concernant l’objet est d’être photographiquement reproductible. La restitution graphique est indépendante de la prise de vue dans le temps et dans l’espace. Le matériau issu de cet enregistrement peut être transféré vers différents programmes spécialisés (logiciels de CAO-DAO, tableurs, etc.) et modulé selon l’objectif recherché.
Ces techniques, largement utilisées dans les domaines de la conception industrielle et de la documentation patrimoniale, permettent la construction quasi-instantanée d’images de synthèse en 3 dimensions. Dans une optique de "sauvetage" de l’information archéologique, disposer (sans intermédiaires) de tels équipements dans le cadre de nos opérations de terrain permet une plus grande réactivité face aux circonstances et aux imprévus de nos découvertes. Dans une optique de valorisation (scientifique, pédagogique ou grand public) de nos travaux, cette technique est également un précieux vecteur de communication. En effet, il s’avère beaucoup plus rapide de "scanner" un élément architectural, un objet ou une scène archéologique que de les recréer a posteriori sur un logiciel de modélisation 3D.
Les techniques numériques évoluent très vite. Afin de compléter son instrumentation, l’UMR 7044 poursuit plusieurs projets :
- La numérisation de secteurs difficilement accessible et aux reliefs complexes pourrait être simplifiée par l’utilisation d'un drône combiné avec un des systèmes de photogrammétrie numérique dont nous disposons déjà.
- Bien que ces systèmes permettent, à moindre frais, de couvrir un large spectre de situations, un scanner laser terrestre sans contact permettrait de compléter la documentation 3D des vestiges bâtis mais également d'accélérer l’enregistrement des "scènes" archéologiques complexes mises au jour et d'en conserver une copie exacte et mesurable : en un temps record, cet instrument produit des nuages de points denses qui couplés avec les prises de vue d’un appareil photo couleur intégré donnent des images 3D dont la précision est millimétrique.
- Le service et la Direction des Usages Numériques (DUN) de l’Université de Strasbourg collaborent autour de la mise en place d’une plateforme d’hébergement, de partage et de publication de modèles 3D produits dans des cadres scientifiques, lors de phases d’acquisition de données et lors de phases de reconstruction en 3D. Alors que cet hébergement est actuellement principalement fourni par des sociétés privées (sketchfab, Verold, etc.), cette plateforme s’inscrira dans un cadre institutionnel sécurisé et durable qui facilitera le signalement et la création de corpus partagés.