Ce programme propose d’analyser les différentes formes et usages de l’écriture dans les sociétés anciennes orientales, depuis l’apparition de l’écriture au 4e millénaire avant notre ère, jusqu’aux époques médiévales/modernes/contemporaines. Les sociétés qui se sont développées dans ces espaces ont mis au point une variété de systèmes d’écritures (logographiques, syllabiques, mixtes, alphabétiques, etc.) qui témoignent d’un rapport complexe à ce mode de communication. Ces pratiques de l’écrit s’inscrivent dans des cultures matérielles et visuelles spécifiques, des sociétés aux régimes de scripturalité, aux systèmes graphiques et aux traditions lettrées divers. Cette opération envisage d’aborder les pratiques de l’écrit des sociétés anciennes dans la perspective de l’anthropologie de l’écriture. Elle peut se concevoir comme un complément aux opérations de publication de textes inédits auxquelles participent par ailleurs les participant(e)s de cette opération. Si l’intérêt pour l’écriture et les pratiques de l’écrit, dans leur dimension matérielle et sociale, est ancienne en sciences historiques, c’est avec les travaux de l’anthropologue Jack Goody que l’écriture est véritablement devenue un objet d'étude pour l’anthropologie (A. Mbodj-Pouye, Critique 680-681, 2004, p. 77-88). L’anthropologie de l’écriture envisage l’écriture comme une pratique sociale et culturelle. Sur le plan méthodologique, elle emprunte à l’ethnographie et à l’histoire (D. Barton, U. Papen, « What is Anthropology of Writing », dans D. Barton, U. Papen (éd.), The Anthropology of Writing. Understanding Textually Mediated Worlds, 2009, p. 9). Dans le domaine de l’égyptologie, la question des usages sociaux de l’écrit a commencé à être particulièrement abordée à partir des années 1980. On peut citer les travaux de référence de John Baines, Christopher Eyre, Jan Assmann ou Pascal Vernus. Il faut encore mentionner les travaux récents de Chloé Ragazzoli sur le développement de la culture scribale au Nouvel Empire (C. Ragazzoli, Scribes. Les artisans du Livre, Paris, 2019). Dans le domaine de l'assyriologie, les débats scientifiques ont porté non seulement sur le lien entre le signe et le signifiant dans le contexte de la naissance de l'écriture (Glassner, Schmidt-Besserat par exemple), mais aussi sur les pratiques sociales de l'écrit, l'apprentissage de l'écriture et la culture scribale au sens large (Charpin, Veldhuis, Tinney parmi d'autres).
L’objectif de cette opération est d’aborder les pratiques de l’écrit dans les sociétés anciennes et médiévales dans une perspective comparatiste, en confrontant ses usages sociaux, les types de literacy des sociétés considérées et en prenant en compte les spécificités (sémiotiques, visuelles, matérielles) des systèmes graphiques utilisés. Notre analyse comparée permettra de mettre en évidence, dans chacune des cultures étudiées, les propriétés intrinsèques de l’écrit, par exemple la capacité à prolonger la voix, à représenter, ou à réifier un discours. Plusieurs thématiques spécifiques sont susceptibles d’être abordées dans le cadre de cette opération. Le choix pourra être réalisé collectivement lors de la première réunion de lancement, mais une des problématiques qui pourrait être envisagée serait celle de la place de l’écrit dans les pratiques et représentations relevant du domaine religieux. Il peut s’agir de pratiques de consignation écrite des savoirs rituels, cosmographiques, etc., d’écritures rituelles (R. Koch-Piettre, C. Batsch, Cahier des mondes anciens 1, « avant-propos » au dossier Écritures rituelles, 2010), – avec la question entre autres de la relation entre oralité et écriture lors de pratiques "performatives" du religieux, telle la récitation psalmique ou coranique par exemple, comme des pratiques administratives utilisant l’écrit au sein des communautés de spécialistes rituels ou religieux. Dans tous les cas, pour bien comprendre les pratiques scripturaires à l’intérieur d’un domaine social donné, il sera nécessaire de les confronter avec les pratiques de l’écrit attestées dans le reste de la société. L’usage de l’écriture en contexte religieux trouvera un rayonnement tout particulier au sein du programme de l’ITI HiSAAR, en particulier dans les axes portant sur les gestes rituels, ou les textes fondateurs des religions. Les participant(e)s de l’axe sont tou(te)s intégré(e)s à l’ITI HiSAAR.
Le mode de fonctionnement sera déterminé lors d’une première réunion de lancement. L’idée est toutefois de privilégier la réflexion collective. L’opération pourrait fonctionner sur la base de séminaires de recherche au cours desquelles pourraient être présentés et discutés 1) d’une part des articles exposant des approches de référence de l’anthropologie de l’écriture, et 2) d’autre part des cas d’étude issus du terrain des participant.e.s et de collègues extérieurs invités. À l’issue de ces séminaires exploratoires, un volume collectif sur la thématique choisie et travaillée sur le long terme au cours du quinquennal est envisagé.