Équipe 2 : « Histoire et archéologie des mondes grec et romain »

Présentation générale

L’équipe 2 sera placée en 2024 sous la responsabilité de Julien Fournier, professeur d’histoire grecque. Pour le contrat quinquennal 2024-2028, l’équipe conservera le même périmètre qu’au cours du précédent contrat, celui de l’histoire, de l’archéologie et de la littérature des mondes grec et romain. Les membres titulaires en sont des universitaires titulaires des universités de Strasbourg et de Haute-Alsace, ainsi qu’un chargé de recherche CNRS. Les projets proposés pour 2024-2028 sont pour partie des prolongements de programmes de recherche entamés lors du contrat quinquennal qui s’achèvera à la fin de 2023, pour partie des opérations nouvelles. Tous peuvent se répartir entre les trois axes qui dessinaient déjà l’identité de l’équipe 2 au cours du présent contrat quinquennal et qui sont en quelque sorte ses lignes de force. Chacun des trois axes comprend trois opérations, dont les grandes lignes sont exposées ci-dessous.


Axe 1 : « Espaces et institutions civiques »

Opération 1.1 : « Institutions civiques et panoplie monumentale » (resp. D. Lefèvre et M. Humm)

L’opération « Institutions civiques et panoplie monumentale » a pour objectif d’étudier et de comprendre les rapports entretenus entre les institutions des cités des mondes grec et romain d’une part, et l’équipement architectural destiné à les abriter d’autre part, entre institutions et espaces civiques. À côté des chantiers de fouilles menés par les archéologues de l’équipe 2, cette opération proposera des séminaires de travail, de réflexion et de débats sur des thèmes qui s’étaleront tout le long du quinquennal 2024-2028 et qui réuniront archéologues, architectes, historiens et épigraphistes.

Cette opération résolument interdisciplinaire entend s’appuyer sur les informations de nature topographique fournies par la confrontation entre les données de l’archéologie et de l’architecture, les sources textuelles (d’origine littéraire et épigraphique) et les données numismatiques ainsi que sur le renouvellement de la réflexion historique concernant les institutions et les sociétés de la cité antique. La méthode d’approche s’appuiera sur la mise en parallèle des situations rencontrées dans le monde grec et dans le monde romain, dans le but de déceler d’éventuels transferts culturels à travers l’espace méditerranéen, les adaptations aux situations locales ou le développement de solutions originales face à des problématiques qui restent souvent communes. C’est pourquoi le cadre spatial pris en compte englobera l’ensemble du monde gréco-romain et ses périphéries, dans une approche délibérément diachronique (des origines de la cité à la fin de l’Antiquité en Occident). Les participants à cette opération développeront l’étude de cas particuliers (entre autres, en Grèce les poleis de Phaistos, de Thasos, l’agora d’Athènes et ses transformations, ainsi que le sanctuaire de Delphes dans le cadre de la cité ; en Italie, Rome…) qui iront enrichir la réflexion collective autour des problématiques concernant le développement urbain et la mise en œuvre des monuments publics.

Dans le cadre de cette opération, on cherchera notamment à savoir dans quelle mesure l’organisation et/ou les pratiques institutionnelles des cités antiques ont déterminé l’organisation spatiale des cités et la construction de monuments spécifiques. On se demandera, en particulier, comment l’organisation spatiale des cités ou certains monuments publics traduisent la mise en scène de l’espace civique voire la nature de ses institutions politiques. On cherchera également à savoir si les sanctuaires, les temples et les itinéraires religieux au sein de la cité peuvent traduire des fonctions « politiques » et « civiques », en mettant en exergue en particulier les relations entre sanctuaires urbains et extra-urbains, en incluant une approche historiographique, notamment sur les espaces processionnels. Enfin, on s’intéressera aux limites de l’espace urbain en étudiant les rapports qui ont pu exister entre leur dimension fonctionnelle, symbolique et représentative.

L’opération va se structurer par conséquent autour de trois thématiques majeures :

  1. Agora et forum : mise(s) en scène de l’espace civique
  2. Sanctuaires, temples et institutions civiques dans la cité et son territoire
  3. Les limites de l’espace civique : fonctions et représentations

 

 

Opération 1.2 : « Naissance et mort de la cité » (resp. A. Pollini et O. Huck)

L’opération proposée est le prolongement du programme de recherches entrepris depuis 2018. Ce programme s’appuie sur des collaborations avec des collègues de l’Université de Bourgogne à Dijon, de l’Université de Toulouse 2 Jean Jaurès, de l’Université Ca’ Foscari de Venise, de l’Université Roma Tre et du Centre Jean Bérard de Naples. Nous envisageons d’élargir nos collaborations notamment en direction de l’Université de Lorraine. Par le biais d’une approche tout à la fois analytique et typologique du phénomène civique, on entend revenir sur la définition de la cité antique et sur la question fondamentale des éléments constitutifs de son identité. On se focalisera, pour ce faire, sur l’examen de moments perçus comme « critiques » / « paroxysmiques » dans l’existence de telle ou telle cité donnée (fondation, refondation, transformation du corps civique, disparition temporaire ou définitive, etc.).

L’opération s’articulera autour de rencontres régulières, en Alsace, en Bourgogne, en Haute-Garonne et en Italie, et nous proposons de nous concentrer sur quatre objectifs fondamentaux :

  1. cerner les modifications du rôle et du fonctionnement de la cité en Orient et en Occident, en particulier lorsqu’elle s’est trouvée confrontée à d’autres systèmes politiques et culturels ; on s’intéressera, en particulier, aux phénomènes coloniaux et aux différentes solutions retenues pour l’organisation des cités coloniales antiques.
  2. faire le lien entre l’entité civique dans sa dimension socio-politique et les phénomènes urbain et territorial, en s’appuyant sur une démarche comparatiste. Pour le monde grec, dans le prolongement des trois rencontres qui ont déjà eu lieu en 2021 et 2022, la question de la cité sera abordée notamment à travers une nouvelle approche qui interroge l’organisation des espaces par le prisme des agents (agentivité – agency). On envisage ainsi la construction des représentations spatiales (territoire et centre urbain) et la mise en place d’interfaces entre les différents sujets. On part du principe que les espaces sont multiples dans le sens où ils se matérialisent par la convergence et la confrontation des représentations politiques, civiques, économiques et sociales.
  3. reprendre à nouveaux frais la question de la fin – totale, partielle ou fantasmée ? – de la cité (dans son acception « classique ») à la période tardo-antique : il s’agira d’étudier son évolution, souvent postulée, mais jamais réellement démontrée, vers une réalité nouvelle, qui serait celle de la « cité épiscopale » caractéristique du haut Moyen Âge occidental. Un questionnement sur la mise en place de modèles proprement « byzantins » de patronage ecclésiastique au sein des cités orientales est également envisagé.
  4. préciser les redéfinitions successives de la cité antique en tant que communauté autonome et indépendante, par le biais d’une réflexion sur le corps civique (entendu dans sa dimension anthropologique et sociologique). On s’intéressera notamment à la question des limites de la citoyenneté, en étudiant pour ce faire les catégories « hors normes », situées en marge de la communauté des citoyens, de même que les catégories « intermédiaires », entre intégration pleine et exclusion totale.

Opération 1.3 : « Argentorate : architecture funéraire et organisation spatiale de la nécropole de Strasbourg-Koenigshoffen » (resp. P. Flotté)

Dans le prolongement d’un programme de l’actuel contrat quinquennal, l’opération visera l’achèvement des recherches et de la publication de l’allée des tombeaux du ier s de n. è. à Koenigshoffen. L’étude porte ainsi sur l’organisation et l’architecture des monuments de la nécropole romaine de Koenigshoffen, à partir de l’important corpus de blocs architecturaux et de sculptures découverts sur le site. Parmi les points d’intérêt figurent les modalités d’aménagement de l’espace funéraire (enclos, technique et matériaux de construction, typologie architecturale, etc.), qui peuvent, dans une perspective comparative, être confrontées à d’autres ensembles du territoire de cité (Sparsbach, Mackwiller, Brumath) ou à ceux des cités voisines (Mayence par exemple). D’autres perspectives (matériaux de la construction, fermeture et abandon des espaces funéraires) qui s’inscrivent dans des problématiques envisagées par d’autres équipes de recherche en Suisse, en Allemagne ou au Luxembourg, sont abordées dans le cadre d’espace de discussion à l’échelle européenne. Enfin, derrière les questions liées à l’architecture funéraire, se posent celles sur l’occupation et de l’utilisation de l’espace dans le secteur de la nécropole et sur la présence de la iie légion à Strasbourg au début de la période impériale. Sur la base des fouilles préventives et des archives du musée et de la DRAC, le projet inclut la triple dimension des recherches, de la médiation culturelle à destination d’un large public et de la formation des étudiants dans le cadre de fouilles.


Axe 2 : « Modèles et pratiques du pouvoir »

Opération 2.1 : « Oligarques et oligarchies à l’époque classique – et au-delà » (resp. D. Lenfant)

L’opération envisagée s’inscrit dans le prolongement du précédent quinquennal. Le constat de départ est le suivant : alors que l’oligarchie était l’un des trois grands régimes distingués par les Grecs à l’époque classique, elle n’a pas suscité l’intérêt des historiens modernes au même titre que la démocratie ou la tyrannie. Un réveil significatif s’observe néanmoins ces toutes dernières années (E. Caire, Penser l’oligarchie à Athènes aux ve et ive siècles, Paris, 2016 ; Pseudo-Xénophon, Constitution des Athéniens, texte édité, traduit et commenté par D. Lenfant, Paris, 2017 ; M. Simonton, Classical Greek Oligarchy: A political history. Princeton, 2017; colloque international organisé à Nanterre par C. Müller en juin 2023). Tout en contribuant à ouvrir de nouvelles perspectives, ces travaux n’ont pas épuisé le sujet. Notre équipe s’est proposé dès le contrat précédent de combiner trois types d’approche : (1) traduction et commentaire savant d’ensembles documentaires, (2) approches thématiques de l’histoire politique, (3) étude de la postérité antique et moderne. À ce troisième type d’approche se rattache le premier produit de nos recherches collectives : il a porté sur la réception du pamphlet oligarchique du Pseudo-Xénophon et donné lieu à la publication d’un ouvrage en 2020 (D. Lenfant (éd.), Les aventures d’un pamphlet antidémocratique. Transmission et réception de la Constitution des Athéniens du Pseudo-Xénophon (ve siècle av. J.-C.- xxie siècle), Paris, de Boccard, 2020). Une équipe, composée de neuf membres titulaires et associés, s’est ensuite lancée dans un ample travail de fond sur le régime oligarchique des Trente à Athènes. C’est ce travail que nous entendons d’abord achever dans le prochain quinquennal.

En tant que régime oligarchique établi et maintenu par la violence dans une cité le plus souvent démocratique, la « Tyrannie des Trente » occupe une place essentielle, mais aussi à part : essentielle parce qu’elle a marqué les esprits des contemporains et qu’elle est aussi l’expérience oligarchique la mieux documentée, mais à part parce qu’elle n’est pas représentative de la plupart des expériences oligarchiques, moins violentes et plus durables. Ce régime n’a curieusement fait l’objet que d’une brève synthèse parue en 1982. Notre équipe a entrepris de l’étudier sur de nouvelles bases méthodologiques. Elle a regroupé l’ensemble des sources disponibles, les a traduites et abondamment annotées. Elle est en train d’élaborer des synthèses historiques sur tous les grands thèmes qui s’imposent (techniques de coup d’État, idéologie des dirigeants, prosopographie des acteurs, sociologie de leurs soutiens…). Elle se propose de poursuivre ce travail de fond qui renouvelle profondément l’approche. Le produit de ce travail (corpus documentaire et analyse historique) sera publié aux éditions des Belles Lettres. Outre l’analyse historique des événéments et de leur arrière-plan, notre équipe projette l’étude de la postérité du régime des Trente, du ive siècle à nos jours, tant du point de vue de l’utilisation politique que de l’exploitation littéraire, comme moteur de réformes ou comme outil de réflexion sur d’autres expériences (on songe aux Oligarques de Jules Isaac). Elle aura ainsi combiné sur ce sujet les trois types d’approche qu’elle s’était proposés.

Dans la suite, elle envisage d’accomplir un travail similaire sur l’autre épisode oligarchique qui a marqué l’histoire athénienne, le régime des Quatre-Cents. Le dossier documentaire est plus mince et l’expérience plus brève, mais on constate à son sujet la même lacune, même si l’un des membres de notre équipe, P.A. Tuci, a contribué à la combler par l’analyse du coup d’État qu’il a publiée (P.A. Tuci, La fragilità della democrazia. Manipolazione istituzionale ed eversione nel colpo di Stato oligarchico del 411 a. C. ad Atene, Milan, 2013). L’histoire de ce régime gagnerait à bénéficier de la traduction commentée du corpus documentaire disponible, ainsi que d’une étude de son histoire, de ses acteurs et de son idéologie, une histoire d’autant plus complexe que les deux principales sources, Thucydide et la Constitution des Athéniens aristotélicienne, présentent de notables divergences. Cette expérience oligarchique étant la première connue à Athènes, sa compréhension est d’une importance majeure, de même que celle des conclusions qui en ont été tirées par les contemporains.

Enfin, on souhaiterait aller au-delà de ces deuxpratiques oligarchiques d’exception pour éclairer l’histoire des régimes oligarchiques en dehors d’Athènes. Il s’agira de constituer un corpus de sources (inscriptions, extraits d’historiens, fragments documentaires d’Aristote et d’Héraclide Lembos sur les constitutions) et de les interpréter tout en mettant à l’épreuve les travaux et la typologie d’Aristote.

Opération 2.2 : « Les temps forts de la République romaine : périodisations, chronologies, générations de classes dirigeantes » (resp. M. T. Schettino et S. Pittia)

Le sujet des périodisations n’est pas épuisé et souvent il interfère avec d’autres notions historiques, comme celles de « décadence » ou bien de « crise » ou encore d’« effondrement » d’un régime politique. Le thème a été largement exploré en lien avec l’Antiquité tardive, qui s’est constituée au xxe siècle en tant que nouvelle période historique, dont les savants ont essayé d’identifier les traits politico-culturels ainsi que les bornes chronologiques. Certaines études comparables portant sur la République romaine existent, néanmoins elles sont souvent limitées à des épisodes précis, comme les guerres du IVe siècle av. n.-è., et la question de la double chronologie –absolue et varronienne–, ou à des phases circonscrites, telles que la fin de l’organisation institutionnelle républicaine et la transition vers le régime augustéen, avec le risque de périodiser les cinq siècles de la République au prisme des événements des 50 dernières années du ier siècle. À titre d’exemple, mentionnons deux volumes récents, qui confirment la superposition entre la périodisation et la notion de crise, ce qui conduit à des anachronismes d’interprétation :

  • Georgios Vassiliades, La ‘res publica’ et sa décadence : de Salluste à Tite-Live, Scripta antiqua, 142, Bordeaux, Ausonius éditions, 2021, 700 p.
  • Christopher Burden-Strevens, Cassius Dio’s Speeches and the Collapse of the Roman Republic. The Roman History, Books 3–56. Leyde-Boston, Brill, 2020, 340 p.

Notre projet vise à combler cette lacune et à proposer une étude moins segmentée que les précédentes dans le but d’ouvrir des pistes de recherche sur l’ensemble de la période républicaine, depuis la fin des rois jusqu’à la mise en place du régime augustéen. En 2009, Harriet Flower a relancé le débat sur les périodisations de l’époque républicaine par son volume Roman Republics (Princeton, 224 p.), où le pluriel souligne la nouveauté de son approche : la succession de plusieurs formes institutionnelles de la Res publica remplacerait la concurrence entre plusieurs périodisations.

Cette opération se structure autour de trois thématiques majeures :

  1. Les périodisations antiques et le débat dans l’historiographie moderne : terminologie et pertinence de certaines notions modernes au regard de la conception antique du temps et de l’histoire ;
  2. Les reconstructions chronologiques et les dates-clés comme outils interprétatifs ;
  3. La dimension générationnelle des périodisations (chaque époque crée ou recrée ses « grandes dates ») et le rôle joué par les classes dirigeantes républicaines dans cette construction culturelle et historiographique

Cette opération se déroulera au rythme d’une ou deux tables rondes annuelles, qui auront lieu soit à Mulhouse/Strasbourg soit à Paris (des partenariats avec d’autres établissements et institutions permettent aussi de projeter des rencontres à Besançon, Pavie ou Rome). Elles serviront de base à l’organisation de deux rencontres de plus grande envergure. Nous envisageons la publication des Actes des colloques et d’un ouvrage collectif (une étude d’ensemble) à l’issue des tables rondes. La réalisation de trois outils numériques est également envisagée : la première réunirait les périodisations de la République proposées durant cette dernière et à l’époque impériale dans une perspective de longue durée ; la deuxième serait une lecture de l’histoire républicaine au prisme des générations politiques successives et les personnalités-clés les incarnant ; la troisième porterait sur le lexique politique relatif aux questionnements autour des périodisations et des reconstructions chronologiques. Dans le cadre de cette opération scientifique des projets de thèse (dans la mesure du possible, en co-tutelle ou en co-direction) seront encouragés ainsi que la participation active des doctorants aux travaux du groupe de recherche.

Ce programme réunira spécialistes de cinq pays européens : Allemagne (Cologne, Münster), Espagne (Madrid), France (Besançon, Mulhouse, Paris, Strasbourg), Italie (Milan, Pavie, Rome), Royaume-Uni (Londres, St Andrews), Suisse (Fribourg). Il sera mené en coopération avec l’IISA (Istituto Italiano per la Storia Antica), dans le cadre de l’accord scientifique entre cette institution et l’UMR, et en partenariat avec l’Université de Pavie, qui a été labellisée par le Ministère italien parmi les Universités d’excellence dans le domaine des Sciences de l’Antiquité.

Opération 2.3 : « Pour une nouvelle datation des lois tardo-antiques » (resp. O. Huck et P. Porena)

L’opération proposée s’inscrit dans le prolongement de la Chaire Gutenberg 2019 de P. Porena (Université de Roma Tre, membre associé UMR 7044), laquelle a permis, entre autres résultats, dans le cadre du vaste projet PPRET : les préfets du prétoire de l’Empire romain tardif, une élite face à la crise (voir Chroniques d’Archimède 2, 2021, p. 35-37), la réalisation et la mise en ligne en accès libre de la base de données PPRET Inscriptions. Cette base de données (désormais BDD) regroupe et permet d’interroger par le biais de moteurs de recherche les inscriptions grecques et latines concernant les préfets du prétoire de la période 284-395, soit un total de quatre-vingt-seize inscriptions. Le critère de choix retenu est celui d’une mention explicite, au sein de l’inscription, de la fonction de préfet du prétoire (auteur et/ou destinataire et/ou élément de contenu). Pour chaque inscription, la BDD propose une édition du texte latin ou grec, des éléments relatifs à la forme de l’inscription, à sa provenance, à son auteur, au(x) préfet(s) du prétoire mentionné(s), des traductions (en anglais, italien et français), un commentaire substantiel et une bibliographie à jour. Soit un nombre considérable d’informations susceptibles d’être mobilisées dans le cadre de recherches simples ou combinées en vue de renouveler (le terme n’est pas galvaudé : sur les quatre-vingt-seize inscriptions incluses dans la BDD, vingt-sept était inconnues d’A.H.M. Jones et de la Prosopography of the Later Roman Empire (PLRE), laquelle demeure, à ce jour, le point de départ (si ce n’est d’arrivée !), de quantité d’études prosopographiques dédiées aux « élites » tardo-antiques), dans une perspective prosopographique, notre connaissance des préfets du prétoire de l’empire tardif. En envisageant ceux-ci comme une aristocratie de fonction caractéristique de leur temps, il devient possible d’éclairer également, par le truchement de mises en séries, les origines familiales, la formation, les orientations religieuses, ou encore les pratiques « de groupe » caractéristiques de ces hauts fonctionnaires (pensons p. ex. à l’évergétisme). De la même manière, ces mises en série permettent d’appréhender, avec une précision à ce jour inégalée, les principales étapes et les dynamiques spécifiques de la carrière de chacun des préfets du prétoire connus pour la période allant de 284 à 395.

C’est ce dernier aspect des approches rendues possibles par la BDD que l’on entend développer et réinvestir dans la présente opération. En effet, les textes de lois de l’époque tardive, massivement conservés et transmis dans les grandes compilations légales de la fin de l’Antiquité (Code Théodosien, Code Justinien) ne sont bien souvent datables – et, par là même, susceptibles d’être associés à un contexte précis d’émission – qu’au regard du nom et de la fonction de leurs destinataires. Destinataires qui, souvent, se trouvaient être des préfets du prétoire ! Partant, on comprend bien l’intérêt qu’il peut y avoir, pour les spécialistes de prosopographie, certes, mais aussi pour les historiens du droit, à restituer des séries chronologiques les plus complètes possible des titulaires des différentes préfectures du prétoire de l’Empire tardif. Privées des considérants et des indications relatives aux motivations du Législateur au moment de leur intégration dans les grands Codes de l’époque de Théodose II ou Justinien (seules les dispositions légales elles-mêmes présentant de l’intérêt au regard des compilateurs appointés par ces deux empereurs), les lois tardives constituent en effet, dans bien des cas, de véritables énigmes pour les chercheurs : pourquoi donc un empereur fit-il, au regard d’un problème donné, le choix de telle disposition légale, plutôt que de telle autre ? Être en mesure d’associer – grâce au nom d’un destinataire dont la carrière nous serait connue avec précision – un texte de loi à une date et donc à un contexte précis permettrait de lever, sinon la totalité, du moins une partie du mystère que ce texte représente aux yeux des chercheurs.

L’intérêt d’une approche de cette sorte a, bien entendu, été perçu de longue date par la profession historienne. Pour autant, les tentatives menées en vue de restituer, dans le détail, l’évolution de la préfecture du prétoire tardo-antique, ainsi que les séquences chronologiques de ses titulaires, n’ont-elles toujours abouti qu’à des résultats perfectibles. La reconstitution des carrières préfectorales proposée par Otto Seeck dans ses Regesten (O. Seeck, Regesten der Kaiser und Päpste für die Jahre 311 bis 476 n. Chr., Stuttgart, 1919), si elle a eu le mérite, en son temps, d’empoigner les questions de chronologie à bras le corps, pose ainsi de gros problèmes, tant de fond que de cohérence. Des problèmes qui, par extension et de manière systématique, affectent les (nombreux) travaux postérieurs adossés aux propositions de Seeck (Cf. inter alios J.-R. Palanque, Essai sur la préfecture du prétoire du Bas-Empire, Paris, 193). À ce jour, l’approche la plus heureuse – sans être parfaite, tant s’en faut ! – des questions de chronologie et de carrières préfectorales reste certainement celle d’Arnold Hugh Martin Jones, dans un article (A. H. M. Jones, « Collegiate Prefectures », Journal of Roman Studies 54, 1964, p. 78-89) dont les acquis ont ensuite été réinvestis (et en quelque sorte « fossilisés ») dans la PLRE. C’est assurément ce qui explique qu’à l’heure actuelle les propositions de Jones restent canoniques et ce, alors même qu’elles ont plus de cinquante ans désormais, et qu’une abondance de découvertes récentes, épigraphiques en particulier, inciterait à les réviser en profondeur. C’est là très précisément – on l’aura compris – la tâche que s’assignent les promoteurs de la présente opération !

Dans cette perspective, on entreprendra tout d’abord une révision de la Zeitfolge d’O. Seeck (O. Seeck, « Die Zeitfolge der Gesetze Constantins », Zeitschrift der Savigny Stiftung für Rechtsgeschichte. Romanistische Abteilung 10, 1889, p. 1-44 et 177-251), dans le but d’aboutir à une nouvelle séquence chronologique, substantiellement mise à jour, de la législation constantinienne. Les résultats de cette première étape seront présentés sous la forme d’une base de données en ligne. À moyen terme (voire long terme, au-delà du présent quinquennal), une approche de ce type (mais d’ampleur largement supérieure !) sera appliquée aux Regesten du même Seeck.

 


Axe 3 : Histoire sociale, culturelle et anthropologique des sociétés antiques

Opération 3.1 : « Anthropologie du genre et de la sexualité en Grèce et à Rome » (resp. S. Boehringer)

Cette opération de recherche a pour objectif d’étudier, dans une perspective d’anthropologie historique et culturelle, le fonctionnement de normes liées au genre (gender) et à la sexualité (entendue comme catégorie heuristique) dans les sociétés grecque et romaine.

Le premier axe de cette opération consiste en l’élaboration d’une base de données, nommée « Eurykleia. Celles qui avaient un nom », qui rassemble les figures de femmes apparaissant dans la documentation textuelle et iconographique des mondes grec et romain, du viie siècle av. J.-C. au iiie siècle ap. J.-C. Il s’agit d’un projet qui relève des humanités numériques : codirigé par V. Sebillotte-Cuchet, S. Boehringer, A. Grand-Clément et S. Péré Noguès, il est soutenu par quatre laboratoires (UMR 8210 Anhima ; UMR 7044 Archimède ; EA 4601 PLH Erasme ; UMR 5608 Traces) et fait, à ce jour, collaborer plus d’une cinquantaine de partenaires, en France et à l’étranger. L’enquête porte une attention particulière aux modalités de l’énonciation et permet ainsi l’analyse de données dans une perspective nouvelle, croisant la méthode du genre (gender history) et celle de la pragmatique linguistique. Sont prévus des séminaires en résidence destinés à alimenter la base de données et, à partir des résultats apportés par l’utilisation de la base, des publications selon une régularité d’un volume ou d’un dossier de revue tous les deux ans.

Le second axe de l’opération porte sur les constructions sociales et culturelles des catégories de la sexualité en Grèce et à Rome. La poursuite des travaux de recherche ce nouveau quinquennal est guidée par une actualité éditoriale inattendue : la publication récente du manuscrit posthume de Michel Foucault (le quatrième et dernier volet de l’Histoire de la sexualité, LesAveux de la chair) ainsi que le dépôt des archives du philosophe à la Bibliothèque nationale de France permettent de poursuivre l’analyse – avec la méthode de la comparaison transculturelle – de l’apparition de cet « étrange et nouveau rapport à nous-même », si différent du régime des aphrodisia antiques et qu’il importe de distinguer de celui-ci. L’équipe se concentre désormais sur les questions de subjectivité, dans le contexte propre des sociétés antiques. Dans la mesure où l’œuvre de Foucault et les questions d’érotisme antique ont principalement fait l’objet de travaux dans le monde anglo-saxon et, plus récemment, en Amérique latine, un colloque international, précédé de quatre rencontres entre les chercheurs français, américains et brésiliens, est prévu au terme du quinquennal, avec, à terme, une publication portant sur l’expérience érotique, trente-cinq ans après le célèbre Before Sexuality.The Construction of Erotic Experience in the Ancient World (dir. D. Halperin, J. Winkler & F. Zeitlin, Princeton, 1990).

Opération 3.2 : « Paysage sonore et échanges culturels dans les cités grecques : textes, images et vestiges » (resp. S. Perrot)

Ce projet s’inscrit dans la continuité du précédent quinquennal, consacré au paysages sonore des cités grecques, d’Homère à Aristoxène de Tarente. Les civilisations antiques n’avaient jamais auparavant fait l’objet de recherches poussées sur l’étude des phénomènes sonores – sons, bruits, musique et silence – et de leur perception. Un des principaux objectifs de l’opération était une nouvelle édition assortie d’une traduction et d’un commentaire des œuvres conservées d’Aristoxène, disciple d’Aristote, dans une perspective interdisciplinaire (philologie, archéologie, histoire, philosophie de la musique), en tenant compte du patrimoine sonore dont il est l’héritier. Le contexte de pensée et d’écriture de ces œuvres est multiple, dans la mesure où Aristoxène est né dans une terre pythagoricienne pour ensuite gagner le Lycée d’Aristote. Ces échanges culturels seront au cœur du prochain quinquennal, notamment dans les fondations grecques et leurs rapports avec les cultures locales. Deux axes en particulier seront suivis :

  1. La lutherie antique : il s’agit de poursuivre des recherches déjà engagées sur les vestiges archéologiques des instruments de musique, en travaillant sur le corpus relatif aux fondations grecques, notamment dans les cités italiotes (Poseidonia, Roca Vecchia, Tarente, Métaponte, Locres Épizéphyrienne et Crotone) et les fondations hellénistiques (notamment le temple de l’Oxus), avec une attention toute particulière au contexte archéologique de découverte. Cet ensemble sera intégré au projet RIMAnt, qui vise la constitution d’un corpus des vestiges d’instruments commun aux mondes égyptien, grec et romain. Des analyses des matériaux, des procédés de fabrication et du rendu acoustique sont envisagées pour les exemplaires les plus remarquables. Ce projet fait l’objet d’une convention entre l’UMR ArcHiMèdE, l’UMR HiSoMA, les laboratoires HERMA (Univ. Poitiers) et CreAAH-LAHM (Université de Rennes), l’Université de Bologne, l’Université du Salento et l’IFAO. Il bénéficie en outre d’un soutien de l’EFA et de l’EFR.
  2. Le lexique du son : dans la continuité de l’édition des œuvres d’Aristoxène, il s’agira de faire l’édition, la traduction et le commentaire de deux courts textes pythagoriciens, la Sectio Canonis attribuée à Euclide, et le Manuel d’harmonique de Nicomaque de Gérasa, auteur grec néo-pythagoricien du ier-iie siècle. Une attention particulière sera portée à la façon de décrire et théoriser les instruments de musique et leurs sonorités, afin de saisir les processus de construction des régimes de sensorialité dans les milieux néo-pythagoriciens. À ce titre, le commentaire s’appuiera sur le fragment conservé de la pythagoricienne Ptolémaïs de Cyrène et le traité Sur la musique de Philodème de Gadara, qui a abordé les questions musicales sous l’angle épicurien.

Ces opérations s’inscrivent par ailleurs dans le programme du réseau des Écoles françaises à l’Étranger « Paysages sonores et espaces urbains de la Méditerranée ancienne (PSo) », qui a permis l’émergence, dans les études consacrées aux mondes anciens, d’un champ disciplinaire nouveau, celui de l’anthropologie du sonore, qui relève à la fois de l’histoire du sensible et de l’archéologie musicale. Elles bénéficient également du soutien de l’Institut Thématique Interdisciplinaire CREAA (Centre de Recherche et d’Expérimentation sur l’Acte Artistique).

Opération 3.3 : « Prosopographie des cités grecques antiques » (resp. J. Fournier et C. Feyel)

Cette opération s’est dessinée dans le cadre du rapprochement en cours entre l’équipe de recherche EA 1132 HISCANT-MA de l’université de Lorraine et l’UMR 7044 Archimède. Son ambition est de réunir autour d’une thématique commune des spécialistes appartenant à ces deux institutions et partageant un certain nombre de problématiques et de champs de recherche.

Son parti-pris est méthodologique : il s’agit de s’intéresser à une discipline auxiliaire de l’histoire, intimement liée à l’édition de corpus de sources écrites : la prosopographie. Cette discipline se donne pour objet le recensement et l’étude des individus dans leur environnement familial, social et politique. Les spécialistes de l’UMR 7044 et de l’EA 1132 travaillent sur différents types de sources écrites (littéraires, épigraphiques, numismatiques, papyrologiques), sur différentes époques (classique, hellénistique, romaine) et sur différentes aires géographiques (Occident, Grèce égéenne, Proche-Orient), mais tous partagent les mêmes démarches et, parfois, les mêmes difficultés quand il s’agit de recenser et de classer des individus en grand nombre : confronter les sources, différencier des homonymes, retracer des carrières, des stratégies onomastiques ou matrimoniales, rétablir des générations et, in fine, des arbres généalogiques (stemmata).

Le présent programme vise tout d’abord à réunir ces chercheurs, dans des ateliers internes ainsi que dans des journées d’études ouvertes à un plus large spectre d’intervenants internationaux, pour confronter leurs problématiques et leurs pratiques prosopographiques. De ces rencontres pourrait naître un ouvrage collectif qui aurait valeur de guide de la discipline prosopographique.

Par ailleurs, différents entreprises prosopographiques menées par les uns et les autres pourraient s’agréger sous ce label commun : prosopographie des Thasiens, prosopographie des étrangers à Délos ou à Delphes, prosopographie des notables d’Éphèse, etc.