Le site de Caričin Grad (fig. 1), qui se trouve en Serbie du Sud à une cinquantaine de kilomètres au Sud de Niš, doit sans doute être identifié à Justiniana Prima, la ville fondée par l’empereur Justinien Ier (527-565) près du lieu de sa naissance. C’est un site d’éperon barré d’environ 9 hectares, que des remparts en dur divisent en trois parties : Acropole, Ville Haute (fig. 2) et Ville Basse. L’espace intra muros est surtout occupé par des bâtiments publics et des résidences officielles, alors que la majeure partie de l’habitat ordinaire se trouvait à la périphérie, protégée par des fossés, des murs secondaires et de simples palissades, si bien que la totalité de l’espace occupé devait être de 20 à 25 hectares.

Ce site présente la double particularité d’être une création artificielle de Justinien, vers 535, et d’avoir connu une existence très brève, puisqu’il fut abandonné au moment des invasions avaro-slaves, vers 615 : au total donc, moins d’un siècle. D’où son importance scientifique exceptionnelle. Il est particulièrement propice à trois types de recherches : l’étude de l’urbanisme protobyzantin, l’étude de l’habitat et des modes de vie au VIe siècle dans les Balkans, et l’étude des contacts entre Byzantins et « envahisseurs ». Les objets de Caričin Grad (fig. 3) notamment peuvent servir de point d’ancrage pour l’étude du mobilier d’autres sites occupés sur une plus longue durée.

Quelques objets de Caričin Grad

Historique de la Mission

Les premières fouilles serbes remontent à 1912, et ont continué malgré plusieurs interruptions jusqu’en 1976. La collaboration franco-serbe a commencé en 1978, et s’est poursuivie dans le cadre d’accords généralement quadriannuels conclus entre l’Institut archéologique de Belgrade et l’École française de Rome ; elle n’a été interrompue qu’entre 1991 et 1996. Dès l'origine, la mission a été constamment ouverte à la participation d'étudiants de l'Université de Strasbourg (généralement 2 ou 3 par an), dans le cadre de leur formation de licence ou de master. Les publications majeures prennent place dans la Collection de l’École française de Rome.

  • Le premier projet franco-serbe (1978-1984) comprenait deux volets. Une équipe dirigée par N. Duval et V. Popović a mené des fouilles de révision sur des églises isolées (Caričin Grad I), puis sur l’ensemble des monuments de l’Acropole (Caričin Grad III), tandis qu’une autre équipe, avec à sa tête J.-M. Spieser et V. Kondić, étudiait dans le quartier sud-ouest de la Ville Haute un ensemble de bâtiments où l’on put reconnaître une forme tardive de principia (bâtiment d’état-major, fig. 4) (Caričin Grad II).
  • En 1984 commença la fouille d’un vaste quartier d’habitation situé dans l’angle sud-ouest de la Ville Basse (fig. 5) ; interrompu par la guerre en 1991, ce travail reprit en 1997 et s’acheva en 2004. À cette occasion, le tracé de la rue sud de la Ville Basse fut précisé, et une importante partie de ses remparts - la partie occidentale du rempart sud et le rempart ouest sur quelque 50 m - fut mise au jour, y compris la grande porte centrale sud et la tour de l’angle sud-ouest, par où l’aqueduc pénétrait dans la ville. Cette fouille d’habitat fut complétée, de 2005 à 2008, par celle de la tour d’angle sud-est et de ses abords.
  • De 2011 à 2013 nous avons, à la demande de l’Institut de Protection des Monuments historiques de Niš, achevé le dégagement du rempart de l’Acropole : fouille de 5 tours, de deux poternes, des segments de courtine intermédiaires et de leurs escaliers d’accès.

Opérations récentes et en cours

Recherches au Nord de l’Acropole


De 2009 à 2018, nous avons entrepris l’étude du quartier nord de la Ville Haute. Cette recherche prolonge une réflexion qui avait porté sur les circulations sur l’Acropole, et plus particulièrement sur les différents accès à la grande salle d’audience située au nord de la rue principale : la porte donnant directement dans l’abside carrée de cette salle était probablement réservée à la plus haute autorité, c’est-à-dire à l’évêque. La présence d’une poterne du rempart (dite « poterne c’ ») juste derrière l’abside laissait supposer que l’évêque accédait à la salle (identifiée au secretarium) par l’arrière, et que donc la résidence épiscopale se trouvait au Nord de l’Acropole.

Cette exploration a pris surtout jusqu’à présent la forme d’un large décapage, méthode d’investigation possible à Caričin Grad parce que l’écrêtement des murs n’y est souvent couvert que par l’humus de surface. Le quartier apparaît, à l’issue de ce décapage, constitué de quatre éléments  :

  • À l’Ouest, des habitations, du même genre que celles du quartier sud-ouest de la Ville Basse mais dépourvues de cours, sont serrées les unes contre les autres et disposées en rangées qui suivent les courbes de niveau.
  • Au centre, deux bâtiments orientés Sud-Ouest/Nord-Est, longs de plus de 50 m et séparés par un couloir, constituent un véritable écran qui divise tout le quartier.
  • Au Sud, une série de constructions s’aligne sur le rempart de l’Acropole tout en laissant libre l’accès à la poterne c’.
  • À l’Est un grand bâtiment rectangulaire (28,50 x 12,30 m), seul du quartier construit en opus mixtum, est pourvu d’un vestibule à l’Ouest et est divisé en deux nefs par une file de piliers axiaux (on peut penser à un horreum). Il entretient une relation qui reste à préciser avec un bâtiment (dit « à piliers ») implanté le long de la rue nord de la Ville Haute, et dont deux pièces avaient été fouillées en 1952-1953.

Le principal axe de circulation du quartier est un passage parallèle au rempart de l’Acropole, et qui se tient à environ 15 m de celui-ci. Ce passage, qu’on gagnait au plus court depuis la poterne c’, débouche à l’Est dans une vaste cour située à l’arrière du « bâtiment à piliers ». Il est clair que la résidence épiscopale, au sens étroit du terme, ne peut guère être cherchée que dans ce secteur oriental.

 

Depuis 2019, nos recherches se concentrent dans le quartier sud-ouest de la Ville Basse où le tracé partiel du plan d’une vaste construction de 30 mètres de côté présentant un plan tétraconque a été repérée lors de la prospection géoradar de 2015. Les premières fouilles attestent que certaines zones de cet édifice ont été réoccupées durant l’époque médiévale, tandis que la récupération d’une bonne partie de ses matériaux s’est déroulée à une période légèrement ultérieure. 

Autres opérations en cours

Depuis plus d’une dizaine d’années, l’architecte Vladan Zdravković réalise des restitutions en 3D de la plupart des bâtiments de Caričin Grad, qu’il complète et corrige au fur et à mesure des découvertes. Il travaille actuellement à la restitution d’ensemble de la ville dans son environnement proche.

En 2011, un relevé de terrain selon la technique du LiDAR topographique a été effectué sur une superficie de 12 km2 autour du site. L’exploitation du DTM (« Digital Terrain Model ») a déjà reçu deux applications. D’une part, un rempart avancé en dur (sorte de parateichion) a été découvert, qui protège la pente au Nord-Est et à l’Est du site sur environ 4,5 ha. D’autre part, les derniers kilomètres de l’aqueduc se lisent bien sur le DTM ; des prospections de terrain ont permis à nos collègues serbes de remonter de là jusqu’au captage (à Petrova Gora, au pied du mont Radan) qui a fait l’objet d’une prospection LiDAR en 2020. Cette détermination du tracé de l’aqueduc sur toute sa longueur permet d’envisager un programme sur l’eau à Caričin Grad. En 2022, les prospections géophysiques ont permis de compléter le plan topographique de la ville et ont révélé l’existence de plusieurs bâtiments autour des huit édifices cultuels exhumés jusqu’ici.

L’étude de la faune a reçu une impulsion nouvelle en 2012 avec l’intégration à l’équipe de l’archéozoologue Nemanja Marković. De plus, une collaboration a été nouée en 2013 avec le Römisch-Germanisches Zentralmuseum de Mayence (RGZM) qui présente un programme concernant un double champ d’investigation : d’un côté la provenance et le traitement des matériaux (métaux, verre, etc.), de l’autre les études paléoenvironnementales et paléoclimatiques. Ce programme sur trois ans (2014-2016) a été amorcé dès 2013 par des prélèvements de paléorestes végétaux effectués par la paléobotaniste Anna Reuter. L’étude des macrorestes végétaux se poursuit actuellement dans le quartier sud-est de la Ville-Basse, sous la direction de Clémence Pagnoux (Muséum national d’histoire naturelle à Paris) et d’Anna Šmuk (postdoctorante à l’Université de Groningen, Pays-Bas).

Enfin, une étude des liants à base de chaux a été réalisée en 2021 et 2022 sur les remparts ainsi que sur 8 édifices cultuels et 8 constructions publiques situés intra et extramuros.

Fouilles prévues

Depuis le repérage d’un édifice de plan tétraconque dans le quartier sud-est de la Ville Basse lors de la prospection géoradar menée en 2015, trois campagnes de fouilles menées à cet endroit depuis 2019 ont mis en évidence diverses structures appartenant à cet édifice dont celles repérées grâce au géoradar, mais elles ont aussi révélé, de manière inattendue, plusieurs phases de réoccupation. Lors du prochain quinquennal, cet édifice fera l’objet d’une fouille extensive complète. Parallèlement à ces travaux, une enquête sur la topographie de la ville et de ses abords sera menée grâce à l’utilisation des nouvelles technologies de prospection géophysique et au LiDAR. Elle permettra de compléter le plan de la ville intra muros et la topographie cultuelle extra muros ainsi que le tracé de l’aqueduc tout en fournissant un aperçu du réseau des forteresses protégeant la ville et son alimentation en eau. Ce projet sera étendu à l’étude du paysage religieux d’autres villes balkaniques et de leurs abords. Une enquête dans la ville protobyzantine de Nicopolis en Grèce est aussi envisagée. L’utilisation des outils topographiques conjuguée à celle des nouvelles techniques de prospections géophysiques et à la restitution 3D permettra de comparer l’élaboration du paysage religieux de ces deux villes qui constituaient des enjeux stratégiques importants dans le cadre de la politique ecclésiastique exercée par Rome et par Constantinople durant les ve et vie siècles.

Équipe et cadre institutionnel

Responsables et participants

Partie française : Catherine Vanderheyde (directrice de la mission française, UdS et UMR 7044), Bernard Bavant (archéologue, UMR 7044, membre associé), Ludovic Bender (archéologue, UMR 7044, membre associé), Jean-Philippe Droux (Géographe-cartographe, IE en archéologie, UMR 7044), ), Fred Rivière (pétro archéologue, UMR 7044, membre associé).

Partie serbe : Vujadin Ivanišević (directeur de la mission serbe, Institut pour la protection des monuments de Serbie), Vesna Bikić (céramologue, IAB), Ivan Bugarski (IAB), Aleksandar Stamenković (topographe, Institut pour la protection des monuments de Serbie), Nemanja Marković (archéozoologue, IAB), Vladan Zdravković (architecte, Institut d’Études byzantines de Belgrade)

Partenariats

Partenariats français : Ministère des Affaires étrangères ; École française de Rome ; Centre national de la Recherche scientifique (UMR 7044, Strasbourg) ; Université de Strasbourg (UdS)

Partenariats serbes : Arheološki Institut Beograd (IAB) ; Zavod za zaštitu spomenika kulture u Nišu ; Narodni Muzej Leskovac

 



Textes de B. Bavant et C. Vanderheyde