Le paysage sonore des cités grecques, d’Homère à Aristoxène de Tarente : textes, images et vestiges

Responsable : Sylvain Perrot

Si le son en lui-même est fugitif, il existe néanmoins suffisamment de sources variées pour en faire une étude raisonnée. Puisque toute culture perçoit et crée ses propres sonorités, le son en est une composante de son émergence à sa disparition, qui peut évoluer par les contacts et les échanges avec d’autres cultures. La mer Égée apparaît en cela comme un cas exemplaire, puisque s’y côtoient de manière privilégiée Orient et Occident et c’est précisément là que naît l’intérêt des Grecs pour le matériau sonore, qui définit pour partie leur culture.

L’étude des « paysages sonores » de l’Antiquité se donne pour objectif d’analyser la perception, l’interprétation et la production des sons, qui montrent que l’être humain ne peut s’abstraire de son groupe, qui vit à une époque et en un lieu déterminés. Il s’agit dans cette opération de repenser les fondations du paysage sonore des Grecs, en partant de l’époque archaïque où tout se met en place dans les mondes égéens, et de voir comment il prend la forme d’un patrimoine sonore dans la culture d’Aristoxène de Tarente. 

Si les sources littéraires sont extrêmement diffuses, voire confuses, sur ce sujet, en particulier parce que nous ne disposons pas de texte théorique complet écrit à l’époque archaïque, l’iconographie et surtout les vestiges d’instruments apportent une lumière essentielle sur les conditions d’émergence de la musique grecque. Les mondes égéens apparaissent ainsi comme le substrat sonore de toute la culture grecque, puisque c’est principalement dans les îles que se sont faits des contacts cruciaux pour les progrès philosophico-scientifiques des Grecs. Au fur et à mesure des siècles, les auteurs grecs se réclament toujours des autorités les plus anciennes, comme Terpandre de Lesbos ou Pythagore de Samos. Ils figurent parmi les pères de la musique grecque, mais aussi de la manière d’entendre les sons environnants, puisque poésie, philosophie et science cohabitent.

La figure d’Aristoxène incarne deux phénomènes majeurs, intrinsèquement liés, qui ont une incidence sur la manière d’appréhender les sons en Grèce antique : le tournant scientifique qu’instaure Aristote et l’écriture des premiers traités spécifiques d’harmonique et de rythmique. Il est donc opportun de consacrer cette opération à déterminer ce qui constituait le domaine de compétences en matière sonore d’un disciple d’Aristote. Ce patrimoine, fondamentalement immatériel, n’est pas que musical, mais sonore en général, comme le montrent les textes d’Aristoxène : la musique y est considérée comme une espèce particulière du son.

Le patrimoine sonore d’un Grec dépend de la région dont il est originaire et où il vit. De la même manière, lorsqu’il voyage, un Grec porte avec lui sa culture sonore. C’est à l’époque archaïque qu’a lieu un important flux migratoire dans la cadre des diasporas. C’est pourquoi il convient d’étudier tout autant le paysage sonore des fondations secondaires que celui des métropoles, pour déterminer le fonds commun et ce qui évolue, d’une part par le changement de cadre géographique et d’autre part par le contact avec d’autres cultures. Un des exemples les mieux documentés de ce point de vue est sans nul doute celui de la Grande-Grèce, où l’on a retrouvé des tombes de musiciens (Lecce, Locres, Tarente, Metaponte, Poseidonia…). Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est un Grec des colonies, formé au pythagorisme dans sa ville natale de Tarente, qui, après avoir parfait ses études au Lycée, est devenu le « Mousikos » par excellence.

Principales réalisations :

  • Le paysage sonore des cités grecques à l’époque archaïque et classique : synthèses régionales (en particulier la Grande-Grèce)
  • Édition, traduction et commentaire des traités d’harmonique et rythmique d’Aristoxène de Tarente pour la CUF

Cette opération s’articule avec le programme de recherche « Paysages sonores et espaces urbains dans la Méditerranée ancienne » (http://resefe.fr/node/114), qui réunit trois Écoles françaises à l’Étranger (ÉfA, ÉfR et IfAO) et dont les porteurs sont Sibylle Émerit (CNRS, UMR HiSoMA), Sylvain Perrot (CNRS, UMR ArcHiMèdE) et Alexandre Vincent (Univ. Poitiers, IUF). Les thématiques majeures en sont :

  • perception du son dans les sociétés antiques : approche lexicographique
  • fabrique du sonore dans l’Antiquité : approche technique et socio-historique
  • statut des sons dans l’espace de la cité : approche topographique et sociologique